Petit Roc PÂQUES 2020

N° 687 PAQUES 2020
DE LA MORT A LA VIE

Depuis 3 semaines, les nouvelles terribles s’accumulent. Le malheur se rajoute
au malheur et l’effroi nous saisit. Confinés, isolés parfois, fatigués, nous voici
aujourd’hui aux portes de Jérusalem à attendre Jésus.
Lorsque l’on parle de « salut », d’un « Sauveur », de Dieu qui « sauve », c’est
bien souvent pour nous, avouons-le, une clause de style, une abstraction, une
formule, un symbole…
Mais, cher amis, aujourd’hui, aux portes de Jérusalem, c’est un Sauveur que
nous attendons. Nous crions vers Jésus : « Sauve-nous de ce cauchemar, arrache-nous
aux griffes mortelles de cet ennemi invisible et destructeur ! » Et Jésus vient…
Il répond à notre attente. Mais il vient à nous à sa manière, et non à la nôtre. Nous
attendons Jésus et nous applaudissons, comme tous les soirs à 20h00. Il vient à nous
dans le dévouement inouï des soignants, des auxiliaires de vie, de tous les personnels
de santé. Il vient à nous non pas en tombant du ciel, mais sur un âne, l’humble
monture du quotidien.
Notre regard change. Les stars ne brillent plus guère. En revanche, les
humbles serviteurs occupent soudain la première place. Ils risquent leur vie pour
nous sauver.
C’est bien parce que Jésus a emprunté ce chemin que nous savons aujourd’hui
le prix du don de soi. Notre société redécouvre qu’elle a besoin du salut alors que
nous entrons dans la semaine sainte. Cela ne peut pas nous laisser indifférents.
Le Christ vient à nous à travers ceux qui veillent sur les autres au prix de leur
vie parfois. Il nous invite à le suivre sur ce chemin du service et du don de soi. Saint
Jean nous le rappelle : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les
aima jusqu’au bout.
Le « jusqu’au bout », c’est Pâques, c’est la vie qui triomphe, l’Espérance
réalisée !
Père Michel Desplanches

« Pour le grand et saint samedi » de saint Epiphane
« Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre »

Aujourd’hui grand silence sur la terre. Silence dans les rues de nos villes,
silence sur les places de nos villages, silence sous les préaux de nos écoles, silence
dans les allées de nos cimetières, à peine troublé par l’ombre d’un cortège famélique.
L’Ecclésiaste avait entraperçu ce printemps silencieux : « L’amandier est en fleurs, (…)
lorsque l’homme s’en va vers sa maison d’éternité, et que les pleureurs sont déjà au coin de la
rue ; avant que le fil d’argent se détache, que la lampe d’or se brise, que la cruche se casse à la
fontaine, que la poulie se fende sur le puits ; et que la poussière retourne à la terre comme elle
en vint, et le souffle de vie, à Dieu qui l’a donné. » Oui aujourd’hui les cerisiers sont en
fleurs dans nos jardins mais les pleureurs ne sortent plus. Le fil d’argent serait-il
brisé ? Que se passe-t-il ?
Et si, en ces temps de confinement, nous relisions Epiphane, et plus largement
toute la liturgie du samedi saint dont le sermon d’Epiphane conclut la première leçon
de vigiles ? Pour les croyants que nous essayons d’être, le samedi saint peut être une
ressource spirituelle en ces temps de silence et où tant de pasteurs souvent touchants
de zèle essaient de fournir à leurs ouailles des ersatz d’eucharisties, par réseaux
sociaux et autres moyens numériques interposés.
Vivre ce carême atypique comme un long samedi saint. Car le samedi saint
n’est pas un entre deux, une sorte de blanc entre l’intensité dramatique du vendredi
saint et le retour de la joie dans la nuit de Pâques. Le samedi saint n’est pas une
parenthèse, tellement vide qu’on n’y célèbre pas l’eucharistie, « Dieu est mort », pas
plus que le vendredi saint ne serait l’anniversaire de la mort de Jésus et Pâques celui
de sa résurrection. La liturgie ne fonctionne pas ainsi, elle ne saucissonne pas le
Mystère. Les pères du mouvement liturgique, les Odo Casel et autres Louis Bouyer,
nous l’ont magistralement rappelé : la liturgie tout au long de l’année, nous donne
l’Unique Mystère, le Mystère de Dieu révélé en Christ, révélé dans la Pâque du
Christ sous différents points de vue. Un peu comme lorsque Cézanne, peintre
métaphysique s’il en est, pour nous aider à saisir, ou à nous laisser saisir par le
mystère interne, tellurique, de la Sainte Victoire, nous la donnait par plans successifs
: la face ouest puissamment plissée, la face sud abrupte et minérale, la face nord
ourlée de chênes verts. Le vendredi saint, l’unique mystère de la mort et de la
résurrection du Christ nous est donné depuis le « point de vue » du pied de la Croix,
le samedi soir, il nous est donné « en mystère », c’est-à-dire in via dans le clair-obscur
des sacrements de Pâques, le dimanche dans la clarté cristalline du matin de la
résurrection.
Et le samedi, ce samedi qu’Epiphane qualifie de grand et de saint, d’où
contemplons-nous le Mystère ? Si on suit Epiphane, c’est du plus profond des enfers,
ces enfers qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’enfer, celui des diables lubriques et
des joyeuses fournaises des tympans de nos cathédrales, qu’il nous est donné de le
contempler. Ou d’accompagner le Nouvel Adam qui s’avance vers Adam et Eve
captifs, « muni de sa croix, l’arme de sa victoire » pour les délivrer. Le dialogue est
inoubliable. Adam : Mon Seigneur avec nous tous ! Le Christ : Et avec ton esprit. Puis, le
prenant par la main, il le relève en disant : « Eveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre
les morts, et le Christ t’illuminera ! » C’est là, au plus profond des enfers que le jeune
Adam vient rencontrer son vieil ancêtre. Pour l’arracher à la ténèbre et l’entrainer
avec lui, et tous ses descendants avec lui, dans son corps de lumière et de vie. De
haut en bas, puis de bas, du plus bas au plus haut, comme quand on plonge un
nouveau-né dans la piscine baptismale pour l’en arracher, ruisselant de vie nouvelle !
Que se passe-t-il ? Aujourd’hui grand silence sur la terre.
Ce qui se passe est caché mais en même temps décisif, c’est l’oeuvre
souterraine, fondamentale, radicale du salut. Le seul combat qui compte, la seule
victoire qui vaille, et que le Christ remporte, tout en bas, dans le silence.
Que se passe-t-il ? Ces jours sont des jours de grand silence sur la terre. Il est
possible que le grand et saint samedi nous aide à les vivre comme il se doit, en
profondeur, y compris dans l’absence, douloureuse, du rassemblement
eucharistique,
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. Le grand et saint
samedi nous apprend à goûter, dans le creux de son absence, à une présence qui
pour être cachée n’en est pas moins réelle et radicale, à la racine. Il nous suffit alors
de nous laisser porter par la dynamique des offices de ce jour si particulier. Les
Vigiles résonnent comme un long appel à la confiance. Dans la nuit. En toute paix, je
me couche et je m’endors, car tu me donnes de vivre Seigneur dans la confiance
(Antienne du psaume 4), sur nous Seigneur que s’illumine ton visage. La confiance
est l’autre nom de la foi : la foi que finit par balbutier le psalmiste : Tu ne peux
m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption (Ant Ps 15, 10), et déjà, mais
en bas les prémices de la victoire, cachée : Elevez-vous, portes éternelles, qu’il entre le Roi
de gloire (Ant Ps 23, 7).
Que se passe-t-il ? Ce qui peut se passer se passe au-dedans, au plus profond,
au plus sombre, au plus blessé, au plus corrompu peut-être de nos coeurs, c’est
jusque là que le jeune Adam veut descendre, pour oxygéner ces zones virosées, pour
remplir de Son Esprit les poumons ankylosés de nos existences. Pour nous sauver.
Exactement comme les infirmières et les médecins combattent pour arracher les
malades à l’étouffement dans les salles surpeuplées de nos hôpitaux.
Les laudes du samedi sont le temps des pleurs et des cris : L’innocent a été mis à
mort ; pleurez sur lui comme on pleure sur un fils unique, puis Des puissances de la mort,
délivre-moi, Seigneur et au Benedictus résonne, puissamment unanime, le cri de tout un
peuple : Viens à notre secours, ô notre Dieu ! Il faudrait citer l’intégralité des psaumes et
des cantiques de ce matin sans aurore pour saisir combien la communion dans
l’intercession, avec ceux qui crient dans la nuit des hôpitaux ou des Ephad est
probablement au moins aussi profonde que la communion cathodique devant l’écran
de son ordinateur.
Les psaumes sont justes, parfaitement ajustés, car ils sont paroles humaines, vraies,
sans fards assumées en paroles de Dieu. Les théologiens et, bien sûr les priants le
savent au moins depuis Augustin, voire avant bien sûr pour le grand Priant : Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Le soir, à Vêpres, la paix de la nuit « En toute paix, je me couche et m’endors »
revient, déjà grosse des lueurs de l’autre nuit, la grande, la belle, la sainte nuit de
Pâques : Brillez déjà, lueurs de Pâques, scintillez au jour de demain. Puis vient
l’intercession, magnifique en ces temps de crise qui n’épargne pas l’Eglise, depuis de
longs mois : Engendre, purifie, sanctifie ton Eglise. Qui en a tant besoin.
Oui chers amis, peut-être pourrions-nous vivre ce temps comme un long, un
beau, un grand samedi saint. Découvrir que l’absence, le manque, jusqu’au manque
eucharistique, tellement étrange, tellement rude pour les catholiques que nous
sommes, peut révéler, en creux, la présence agissante de Celui qui ne dort jamais, qui
travaille sans cesse. Confiné, mais actif au plus infecté de nos coeurs. En bas, tout en
bas, tout au fond ! Découvrir aussi, comme le peuple juif en Exil que plus que
l’eucharistie, pourtant si importante, si vitale, si nécessaire, ce que nos pères
médiévaux appelaient la res du sacrement, la charité, est in fine plus importante que
la matérialité du sacrement. Redécouvrir que la res, la charité, la belle et bonne
charité si chère à Péguy (qui ne pouvait pas communier) demeure toujours
accessible, jamais confinée. Mais c’est une autre histoire.
Vivre, dans l’intériorité et la charité ce long samedi jusqu’au jour dont la
venue est aussi certaine et lumineuse qu’une belle aurore pascale, jusqu’au jour
d’étreintes peut-être plus humaines que le jour d’avant, jusqu’au jour d’assemblées
véritablement eucharistiques où, peut-être, nous ferons un peu moins semblant de
faire corps, jusqu’au jour où le printemps sera, enfin, débarrassé de quelques-uns de
ses miasmes qui nous empoisonnent la vie, depuis beaucoup plus longtemps que
cette saleté de virus !

P. Gilles Drouin, prêtre du diocèse d’Evry, directeur de l’Institut Supérieur de Liturgie de
l’Institut Catholique de Paris.

Envoyez-nous des saints….qui réussissent !

C ‘est la prière que met Charles Péguy dans la bouche de la petite Jeanne d ‘Arc
alors qu’assise dans un pré à filer la laine et gardant ses moutons,
elle se laisse aller à implorer Dieu… La guerre de cent ans fait des ravages au
royaume de France, avec son cortège de misère et de mort…
Jeanne enfant, avec sa logique candide, cherche à comprendre avant de suggérer
enfin à Dieu une solution…
« Ô mon Dieu, si on voyait seulement le commencement de votre règne. Si on voyait
seulement se lever le soleil de votre règne.
Mais rien jamais rien. Vous nous avez envoyé votre Fils, que vous aimiez tant,
votre Fils est venu qui a tant souffert, et il est mort, et rien, jamais rien.
Et vous nous avez envoyé vos saints, vous les avez appelés chacun par leur nom,
et vos saints sont venus, et vos saintes sont venues, mais rien, jamais rien. Et ce
qui règne sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est que de la perdition.
Quatorze siècles (fussent-ils de chrétienté), quatorze siècle depuis le rachat de
nos âmes […]
Au nom de Père, du Fils et du Saint Esprit, mon Dieu, délivrez-nous du mal,
délivrez-nous du mal.
S’il n’y a pas encore eu assez de saintes et assez de saints, envoyez-nous en
d’autres, envoyez-nous en autant qu’il en faudra; envoyez-nous en tant que
l’ennemi se lasse. Nous ferons tout ce qu’ils nous diront de votre part : nous
sommes vos brebis, envoyez-nous vos bergers… il y a tant de bonne volonté sur
votre terre.
Et pourtant, il y a quelque chose qui ne marche pas. Il y a des saintes, il y a des
saints, il y a de la sainteté… et ça ne marche pas tout de même.
Il faudrait peut-être autre chose ô mon Dieu, vous qui savez tout;
Quelque chose qu’on n’aurait encore jamais fait. Mais qui oserait dire qu’il puisse
y avoir encore du nouveau après tant de saintes et de saints, après vos martyrs,
après la passion et la mort de votre Fils? »
Long silence puis soudain:
« Ce qu’il nous faudrait mon Dieu… il faudrait nous envoyer une sainte….qui
réussisse. »
Et la petite Jeanne de Domrémy s’est levée et l’on sait ce qu’il en est advenu.
Dans les découragements qui peuvent nous saisir, ne cédons pas au spleen ni au
repli.
Nous sommes chacun comme le furent tous les saints et les humains de bonne
volonté, des saints qui réussissons.
Qui réussissons chaque fois que nous prenons à coeur le bruit de notre coeur qui
bat au rythme de l’espérance et de la fraternité.

Proposé par Hélène Mayer, présidente du Secours Catholique d’Aix, en lien
quotidien avec les bénévoles avec une prière, un poème, une méditation.