Denier de l'Église

Conférence « Dieu guérit » : la flore du triptyque « Le buisson ardent »

Dans le cadre des conférences de Carême « Dieu guérit », Raymond Lécina, professeur agrégé de lettres, s’est intéressé à la flore dans le triptyque du Buisson ardent de Nicolas Froment, exposé à la cathédrale d’Aix-en-Provence. Voici son propos, tenu le dimanche 13 mars à 17h.

(1) Le sujet central du Buisson ardent est le Salut offert aux hommes par l’incarnation, la mort et la résurrection de Jésus, fils de Dieu; en même temps l’examen des espèces végétales qui y sont représentées montre que Dieu a mis dans sa création des plantes qui permettent aux hommes de guérir leurs maladies corporelles.

C’est ce qu’écrivait en 1565 le très célèbre médecin et botaniste italien Pierandrea MATTIOLI (1501-1578) : «Le grand Maître de l’Univers n’a rien jeté à l’aventure … Il a donné à chaque espèce de plante des qualités différentes pour réparer les fâcheuses brèches que le péché a faite dans notre chair.»

Parmi les 33 espèces végétales – ce nombre ne doit rien au hasard- qui ont été dénombrées dans le triptyque, je vous propose un petit choix qui fait apparaître leur valeur symbolique ou médicinale, et même souvent les deux …

 

(2) En bas du tableau entre Moïse et l’ange, on voit deux groupes de bêtes.

Au l  » plan, – si l’on ignore le chien et la brebis vue de dos, – six bêtes sont toutes représentées la tête en l’air, semblant attendre quelque chose, l’air plutôt malheureux … elles ne broutent pas car leur pré est sec, il n’y pousse que des chardons – comme dans Gn 3, 18 – et des touffes d’herbe sèche …

En revanche, au 2nd plan, dans le grand méandre du ruisseau qui jaillit du Rocher, six brebis broutent l’herbe verte et boivent l’eau du ruisseau : sur leur toison, on voit très nettement des ANCOLIES.

Aussi appelée  « gant de Notre-Dame» ou « colombine» (car ses pétales ressemblent à des ailes de colombe), la fleur – sans valeur thérapeutique – symbolisait, pour les auteurs médiévaux, l’Esprit Saint. Ces brebis, ainsi marquées du sceau de I’Esprit, sont heureuses : elles acceptent le don de Dieu, elles ont la vie en plénitude à la différence des bêtes de l’autre groupe.

(3) Dans la couronne du Buisson, on a dénombré onze espèces de plantes qui ont toutes une valeur médicinale et une portée symbolique. La moitié d’entre elles sont peu représentées, on distingue ici et là :

un court rameau d’OLIVIER peu visible (à G),

un rameau de LAURIER NOBLE (partie inférieure D),

la PERVENCHE rose, deux fois trois fleurs ( en haut à G),

le LISERON des haies, trois fleurs blanches en forme d’entonnoir (bord à G),

le SUREAU NOIR est représenté 3 fois : en fleurs (D) en fruits (G) groupés en calice.

Les mieux représentées appartiennent à la famille des ROSACÉES, ce sont : l’aubépine, l’églantier, la ronce à feuilles d’Orme, et à gauche de la Vierge, en deux groupes, cinq roses blanches des jardins.

(4) Voici des fleurs d’aubépine et de ronces. L’AUBÉPINE aux petites fleurs blanches a toujours été considérée dans toute l’Europe comme la« plante protectrice» par excellence.

À Athènes et à Rome, elle fleurissait les noces car on voyait en elle un gage de bonheur et de prospérité pour les nouveaux époux.

Au M-Â, les chrétiens pensaient que l’aubépine avait servi à tresser la couronne du Christ et que le buisson ardent du mont Horeb en était une variété, le pyracantha. On comprend donc pourquoi N. Froment en a fait l’un des principaux arbustes du Buisson.

Elle était aussi connue comme remède contre la goutte, la pleurésie, l’insomnie, les angoisses, et la science moderne confirme que, dépourvue de toxicité, ses composants chimiques sont antispasmodiques, diurétiques et surtout ils constituent un cardiotonique puissant capable de réguler à la fois l’hypertension et l’hypotension artérielle …

 

(5) D’après le botaniste Jean Palaiseul’, la RONCE À FEUILLES D’ORME« est un exemple supplémentaire de la sagesse de la nature et de l ‘harmonie de la création : ses feuilles fraîches, écrasées entre les doigts et .frottées sur la peau, arrêtent immédiatement le saignement des égratignures que peuvent faires ses épines… Ses fruits appétissants et noirs sont bien connus des enfants.

« Pline vantait déjà ses effets sur les inflammations de l’intestin et de la bouche, remarquant que la nature ne l’a pas « créée seulement pour nuire à l’homme », et sainte Hildegarde la conseillait contre les hémorroïdes. »

On utilise toujours ses feuilles en décoction, et les mûres ( « un de nos meilleurs fruits sauvages» selon Pierre Lieutaghi) en confiture ou en sirop… offrent de nombreux bienfaits.

L’ÉGLANTIER est aussi appelé ROSIER DE LA VIERGE : ses fleurs ont cinq pétales [symbole de virginité et des 5 plaies du Christ] d’un blanc pur avec un cœur jaune. Son fruit, le cynorrhodon a des propriétés thérapeutiques : c’est un vermifuge et il agit contre les calculs. On sait aussi aujourd’hui que son enveloppe charnue est très riche en vitamine C: elle contiendrait 10 fois plus de vitamine C que le citron … Et ses bienfaits sont trop nombreux pour être évoqués ici …

 

(6) La couronne du Buisson est portée par douze troncs de FIGUIER, arbre qui occupe dans la Bible une place éminente : il est en effet le premier et le dernier arbre cité (Gn 3, 7 et Ap 6, 13). Dt 8, 8 le cite parmi les arbres de la Terre promise comme symbole d’abondance. Le 2nd livre des R (20, 1- 7) en précise la valeur thérapeutique :

« En ces jours-là, le roi Ézéchias souffrait d’une maladie mortelle … » Le prophète Isaïe l’invite donc à se préparer à mourir, mais Ézéchias implore Dieu de le laisser en vie. Dieu demande alors à Isaïe de porter ce message au Roi : « Ainsi parle le Seigneur, Dieu de David ton ancêtre : j’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes, je vais te guérir : dans trois jours tu monteras à la maison du Seigneur et j’ajouterai quinze années à ta vie. »

Isaïe apporta alors un gâteau de figues, le fit appliquer sur l’ulcère du roi qui se trouva guéri. C’est l’un des plus antiques cas de guérison connus grâce au fruit du figuier …

Les Égyptiens utilisaient les figues dans de nombreux remèdes.

Platon les considérait comme les « amies des philosophes » car elles « renforcent l’intelligence». Et aujourd’hui on les recommande en cas d’asthénie physique et nerveuse …

La vieille pharmacopée lui accordait de nombreuses vertus contre la constipation, la toux, les rhumes, les maux de gorge, les maladies des poumons. Et son suc laiteux, proche du suc pancréatique, fait disparaître les verrues, soulage des piqûres de scorpions …

Autour du tronc au centre du bosquet, on voit un LIERRE TERRESTRE s’enrouler.

Il était dans l’ Antiquité un symbole de fidélité, de vie éternelle, de virginité aussi. C’était au M-Â un analgésique, un vulnéraire contre les ulcères et les plaies. On l’utilisait contre les bronchites, contre l’asthme, les dérangements intestinaux (gastrites, entérites), les troubles urinaires et hépatiques …

 

(7) Voici enfin à droite de la source un petit FIGUIER avec 3 figues (symboles de la Trinité)

(8) et à sa gauche juste au-dessus de la source, 2 plants d’HELLÉBORES ou ROSES DE NOËL:

Quoique toxique, on attribuait dans l ‘Antiquité à l’hellébore des propriétés purgatives et vermifuges, on croyait surtout qu’elle guérissait de la folie, ce dont témoigne le satiriste Lucien de Samosate (2nd siècle) :

« On ne saurait être sage sans s’être purgé trois fois le cerveau avec del ‘hellébore. » La Fontaine2 s’en est souvenu dans la fable où le lièvre se moque de la tortue:

« Ma commère, il vous faut purger/ Avec quatre grains d’ellébore».

Au M-Â on en tirait un baume considéré comme un remède pour rester éternellement Jeune …

Selon une légende chrétienne, elle serait née à Bethléem des larmes d’un pauvre berger qui n’avait rien à offrir à l’enfant Jésus. Lorsque ses larmes tombèrent dans la neige, elles se transformèrent en fleurs qu’il offrit alors à l’enfant! Elle joue un rôle dans de nombreux contes populaires. En allemand, on l’appelle« Rose du Christ».

Il me plaît de penser que le peintre a peut-être voulu associer l’image d’une plante réputée restaurer la santé mentale, rendre la sagesse perdue, à la naissance de Jésus venu offrir aux hommes le Salut, celui que Jésus promet à la Samaritaine (Jn 4, 1-26):

« Celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n ‘aura plus jamais soif; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »

(9) Comme une récapitulation de la flore du buisson, on voit au-dessus de la nouvelle Jérusalem et bien éclairés par le Soleil levant de la Résurrection: les fruits en calice du sureau noir, de nombreuses mûres des ronces, les aubépines en fleurs, les cynorrhodons et les fleurs de l’églantier …

Comment ne pas penser ici à la vision d’Ezéchiel (47, 12):

« Au bord du torrent, sur les deux rives, toutes sortes d’arbres .fruitiers pousseront ; leur feuillage ne se flétrira pas et leurs fruits ne manqueront pas. Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède. »

Ainsi nourris des fruits de la Création, et guéris dans leur âme et dans leur corps, les deux étant étroitement liés comme le montre si bien le Buisson ardent, les hommes entreront dans la Nouvelle Jérusalem où toute souffrance sera transfigurée en Joie.

 

13 mars 2022 Raymond LÉCINA