Homélie du 29 décembre 2019, du père Gratien, sur la Sainte Famille

Homélie en la fête de la Sainte Famille. Pelissanne, ce 29 Décembre 2019.

Bien-aimés du Seigneur,

Ce qui parait très intéressant et très nourrissant dans les textes liturgiques de cette fête de la sainte famille, c’est la piqûre spirituelle en bonne dose que chacun de nous a reçue. Quelle que soit la place que l’on tient dans une famille (père, mère ou enfant), les deux premières lectures indiquent avec précision les vertus à ambitionner pour mieux déchiffrer la partition de l’harmonie familiale. L’évangile de son côté présente et insiste sur le rôle protecteur que jouent Joseph et Marie auprès de l’enfant Jésus dont la vie est menacée par la rage meurtrière d’Hérode.

Avant de m’atteler à rappeler ces valeurs qui ont porté la sainte famille de Nazareth et en ont fait un label et un modèle, je vous souhaite à tous et à chacun un joyeux Noël avec ces mots bien inspirés de Saint Augustin :

« Le christ est né, comment hésiter à renaître ?[…] Sa Mère l’a porté dans son sein, portons-le dans nos âmes. On a vu une vierge enceinte du Verbe incarné ; remplissons nos cœurs de la foi au Christ. Une vierge a enfanté le salut ; enfantons aussi la louange ; ne soyons point stériles, mais que pour Dieu nos âmes soient fécondes »[1].

Le premier lieu de cette fécondité sans laquelle il est très difficile de porter des fruits de sainteté, est bien la famille. Qu’elle soit professionnelle, religieuse ou de corporation mais davantage lorsqu’elle est biologique.

Malheureusement, nous assistons de nos jours aux désastres psychologiques et sociaux entraînés par la brisure des familles pour un oui ou un non. Dans le même temps, tout le monde comprend que la famille est la vraie école de vie où s’apprennent les valeurs surtout celles qui nous portent spontanément à savoir dire « s’il te plaît », « pardon » et « merci ». L’on sait également le rôle indispensable et irremplaçable dévolu à la famille dans la formation de la maturité humaine de l’individu. Victor Hugo a eu raison de dire que « l’éducation c’est la famille qui la donne et l’instruction c’est l’état qui la doit »[2]. A cet égard, surgit une question -à mon avis- essentielle : si la structure familiale s’affaiblit et perd toute efficacité, qui transmettra aux enfants les vraies valeurs de la vie ?  Avis donc à nous qui détenons une responsabilité d’éducation en famille. N’oublions jamais que l’avenir et le bien-être de nos maisons et de notre société en dépendent.

En revenant à la première lecture, nous comprenons mieux alors ce qui pousse le sage Ben Sirac à un plaidoyer pour la famille surtout en ce qui regarde le devoir des enfants vis-à-vis de leurs parents : « mon Fils, soutiens ton père dans sa vieillesse, ne le chagrine pas pendant sa vie. Même si son esprit l’abandonne, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force » (Si 3,13). Il propose de redresser la barre de l’autorité des parents en la redorant du blason du respect voire de la vénération et du soutien qu’ils méritent. Ce faisant les enfants auront mieux compris que les parents sont les instruments nécessaires par lesquels Dieu nous transmet la vie. Et comme fruit de leur amour, ils ne sont pas devenus ce qu’ils sont sans l’apport minimum du sacrifice des parents. Le bel exemple de cette fête se trouve d’ailleurs concentré dans les figures de Joseph et de Marie bien obligés de protéger l’enfant Jésus mais aussi de l’aider à grandir en lui transmettant les valeurs de sociabilité, de responsabilité, de respect et d’amour. Cette famille est devenue modèle grâce à la priorité du bien commun dont les signaux donnent l’alerte de l’orage ravageur de l’égoïsme et de l’orgueil. Et pourtant une question demeure. Mais en quoi cette famille est-elle réellement un modèle ? Nous le savons peut-être par notre connaissance de ces emblématiques personnes du monde évangile. En revanche une piqûre de rappel ne fera pas de mal.

D’abord la grande caractéristique de cette famille me semble bien celle-ci. Comme toute famille, tous ne se ressemblent pas mais ils pratiquent brillamment la vraie philosophie du « consensus différencié ». Chacun y va de son caractère pour le bonheur de l’ensemble. Dans cette famille, chacun était à sa place et gardait sa place mais la vie communautaire n’était quasiment jamais en panne. Le carburant de leur moteur spirituel était leur confiance en Dieu et la confiance mutuelle installée solidement dans ce cercle familial.

Qui est Joseph ?

Joseph, c’est l’homme juste et l’époux fidèle. Responsable, défenseur et protecteur contre les loups voraces et les virus dangereux susceptibles de menacer la paix. L’autorité masculine de celui qui sait se remettre entièrement à Dieu, a consisté à prendre résolument le leadership de l’amour. C’est le père provident très généreux en amour.

Quant à Marie, c’est la femme humble et intérieure, patiente et pleine de tendresse. Heureuse parce que joyeuse, attentionnée et toute donnée. Le génie féminin de celle dont le oui est total, a été comme une goutte de miel jeté dans le calice de la vie de ce couple pour en adoucir l’amertume. Sous son doux regard, l’enfant Jésus a grandi et mûri.

Ce Jésus lui-même était un enfant soumis, sage, actif (participant aux travaux de la maison), et même quelquefois capricieux mais toujours obéissant.

C’est peut-être l’occasion de redire aux parents combien il est important de ne pas laisser les enfants devenir des « enfants-rois » en leur permettant de tout faire au nom d’une liberté dont le vrai nom est le libertinage. Il ne revient pas à l’enfant de dicter aux parents la manière dont on va l’éduquer. Et le propre de l’éducation est d’éviter toute complaisance anti-pédagogique.

L’autre caractéristique de cette toute simple famille de Nazareth, est qu’elle n’a pas vécu dans les nuages. Tout ce que les évangiles nous disent de l’enfance de Jésus n’a rien d’un conte de fées : Joseph a été bien perturbé devant la grossesse de Marie. Nous connaissons les misérables conditions de la naissance de Jésus. Mieux l’exil en Égypte dont nous parle l’évangile de ce jour et quelques années plus tard le fameux pèlerinage où l’enfant est perdu à Jérusalem. Il s’agit d’une vraie famille avec des problèmes. Voilà qui devrait nous rassurer. Pour surmonter toutes ces difficultés connues ou non, cette famille a mis en œuvre la conjugaison de quelques principes encore valables pour les familles aujourd’hui.

Je commence par ce que j’appelle les 3C : Confiance, Communication, Collaboration. La famille ne peut pas tenir s’il n’y règne pas la confiance entre les membres qui la composent. C’est en communiquant qu’on apprend à mieux se connaître. Et quand on se connait mieux, on se heurte moins, et la collaboration devient plus facile.

Ensuite, il y a la règle des 3R : Responsabilité, Respect, Renaissance. L’harmonie de la famille repose sur le Respect mutuel, la Responsabilité et la Renaissance. Où règne le respect de l’autre, là aussi s’affermit le sens de la Responsabilité pour une renaissance continuelle. Renaître chaque jour à l’amour et à s’éveiller à la présence de l’autre qui vous respecte dans votre différence.

Je finis par les 3P que sont Patience, Pardon, et Prière. Il faut beaucoup de Patience pour porter et supporter l’autre. Seule cette vertu permet de garder le silence qui se veut la voie idoine et royale aux heures de colère où la violence verbale peut briser le cœur de l’autre. Nous sommes tous offenseurs. Nous devons accepter aussi d’être offensables. Offensés, apprenez à offrir le Pardon, à l’offrir encore et toujours sans se lasser. Car en pardonnant à l’autre, nous nous libérons nous-mêmes des toxines de l’irritation et nous disons à notre vis-à-vis : tu n’es pas réductible au mal que tu as fait. La famille ne saurait tenir la route en tournant dos au Seigneur. La prière est la clé qui aide à fermer la porte aux problèmes. Prier si possible ensemble donne l’occasion de demander au Seigneur de rendre chacun des membres plus fort que lui-même, fort dans les tentations et toutes les situations d’incompréhensions et de discorde.

La sainte famille de Nazareth a bien saisi que la famille est un lieu où l’amour vise la construction et non la satisfaction. Pour elle, la famille n’est pas un gymnase où c’est le plus fort qui triomphe. Ce n’est non plus un hôtel où l’on n’attend que d’être servi. Encore moins un tribunal où l’on vient en attitude de procès réclamer ses droits et non ses devoirs.

C’est véritablement le lieu comme disait Paul Claudel, où ce que chacun de nous peut offrir au monde de meilleur, c’est soi-même.

Puissions-nous grandir dans cette intelligence de la famille en ce jour béni où il est encore temps de prier pour les nombreuses familles divisées et rongées par l’orgueil et l’égoïsme distillés par le venin de l’individualisme rampant.

Prions également pour qu’en ce temps de Noël où les liens familiaux se resserrent et se redécouvrent, l’Emmanuel Dieu avec nous, nous propulse davantage vers la conversion à l’amour véritable. Car lui seul ne fait pas de mal. Il est plutôt contre toute apparence consistance pour toujours. Amen.

Père Yao Gratien DECADJEVI

 

[1]Saint Augustin, Sermon CLXXXIX, 3.

[2] Victor Hugo, Acte et Parole – Volume 6.djvu/60.