Denier de l'Église

Rameaux 2024 : 3 manières de renouveler notre écoute de la Passion

Dans son homélie du 24 mars 2024, Monseigneur Christian Delarbre, évêque d’Aix-et-Arles, donne des clefs pour ne jamais s’habituer au texte de la Passion et toujours l’écouter de manière nouvelle.

Mes chers amis, nous venons d’entendre la Passion de Jésus Christ selon saint Marc. Une fois encore, j’ai envie dire. Mais chaque année, je reste stupéfait par l’événement même de proclamer et ‘entendre la Passion du Seigneur. Nous avons déroulé notre année liturgique, nous sommes entrés en carême et nous voici quarante jours après, à entendre ce récit. À vrai dire, cet étonnement dont je parle, c’est celui qu’annonce le prophète Isaïe dans la suite de l’oracle que nous avons entendu, un peu plus loin, au chapitre 52, il dit : « Il étonnera une multitude de nations. Devant lui, les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que jamais on ne leur avait dit. Ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler ». Nous ne devons jamais nous accoutumer à la Passion de Jésus, ni à son récit, ni à l’entendre comme une histoire d’autrefois que l’on connaît déjà. Trois réflexions :

• La première pour renouveler notre étonnement, notre stupéfaction, être bouche bée, comme dit le prophète. Sachons que le récit de la Passion est toujours dans les évangiles le récit le plus long et le plus détaillé. Les exégètes nous disent eux-mêmes que ce sont les histoires des évangiles qui auraient été les premières à avoir été mises par écrit pour être transmises. Dans le même temps, sachez qu’il faudra plusieurs siècles aux chrétiens pour représenter le Christ en croix. Le récit est sans cesse répété. Il est fondateur pour les chrétiens, mais jamais ils ne le représentent. La toute première image connue de la croix est le graffiti moqueur d’Alexemenos, daté du troisième siècle, qui est conservé au musée du Palatin à Rome, où vous pouvez aller le voir, (ou plus commodément, sur lnternet). Un crucifié est représenté avec une tête d’âne, et à côté un homme est à genoux, et une inscription moqueuse : « Alexemenos adore son Dieu ». Deux cents ans après la mort de Jésus, la représentation de la croix est une caricature. Mais le disciple, lui, adore Jésus en croix. Imaginez-vous cela : les chrétiens racontent la Passion de Jésus. Ils prêchent, comme le dit avec force Saint Paul, un Messie et un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, et cela est si audacieux qu’ils n’osent le représenter.
Et nous, nous devrions entendre le même récit sans surprise, sans étonnement. Comment osons-nous lire en public, devant nos enfants, un tel récit ? Un homme nu, ensanglanté, pantelant, mort sur ne croix, et un centurion qui le désigne en disant : « Il est vraiment le fils de Dieu ». Entendez les moqueurs ! Alexemenos adore son Dieu ! Christian adore son Dieu ! Il convient que le récit de la Passion continue de choquer, d’étnner, de déranger. Notre Dieu est sur une croix.

• Deuxième source de stupéfaction : qu’est-ce que le récit de la Passion nous raconte ? La version de Saint-Marc est particulièrement dépouillée, brutale même, clinique parfois. Tout y est ! La trahison, es amis qui l’abandonnent, la peur panique d’un jeune disciple, le compagnon fidèle qui se détourne, les insultes et les coups, les mensonges et les faux témoignages, les injures et les moqueries, la bêtise d’une foule, la haine religieuse, le calcul d’un politicien, les intérêts d’une clique, l’argent bien sûr, l’argent, la démagogie d’une libération, le spectacle publique d’une mise à ort, la vérité bafouée, la dignité foulée aux pieds, le fouet, la torture appliquée scientifiquement par des soldats, l’humiliation, la déshumanisation, la cruauté du supplice, la destruction méthodique et préméditée d’un corps humain écartelé et le sang d’un homme et l’abandon de Dieu. Paul dira avec sa force coutumière : celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous. Il l’a identifié au péché, explique la traduction liturgique. Regarde le visage du Christ, regarde-le droit dans les yeux et vois le péché, vois le fruit du mal, vois
ce qu’est l’œuvre du mal, exposée devant tous dans sa terrible banalité, son infinie répétition. Jamais on n’a ainsi montré le mal dans sa laideur. Et j’entends alors autrement la parole d’lsaïe « Ils sont bouche bée devant lui, ils verront ce que jamais on ne leur avait dit ». Reste étonné mon frère, devant le Crucifié, il est en agonie jusqu’à la fin des temps, selon le mot de Blaise Pascal. Jésus est nu sur la croix, mais c’est le mal qui est mis à nu pour toujours. Toi qui dans ce monde fais couler le sang, tu pourras toujours donner des noms commodes aux crimes, envelopper d’arguments, de raisons, de raisonnements, de discours, de justifications, la mise à mort d’un juste, l’exécution d’un innocent, la torture d’un prisonnier, la déshumanisation d’un être humain, la destruction méthodique d’une personne, tu auras toujours devant toi le visage du crucifié et tu porteras pour ton malheur le visage des bourreaux de Jésus-Christ. De manière plus quotidienne, plus banale, manière qui nous est coutumière à nous, trop banale, hélas, par le mensonge, la trahison du moment, la dissimulation, la violence des mots, la calomnie, la peur, d’appât au gain, le conformisme du moment, la crainte de la vérité, l’entraînement de la foule. Tu participes à la Passion de Jésus. Subis cet étonnement de l’être, il nous faut craindre bien davantage d’avoir les traits des bourreaux de Jésus-Christ que ceux du crucifié.

• Dernier étonnement : pour que ce récit puisse être proclamé, pour que l’on ose exposer ainsi le crucifié, pour qu’il soit la mise à nu du règne du mal, il faut bien sûr que Alexemenos adore son Dieu. La Résurrection n’est pas venue donner une fin heureuse à une tragédie, de sorte qu’on puisse tourner la page de cet épisode pénible. La Résurrection est venue attester de la vérité de ce que vous avez contemplé, de ce qui vous a été relaté, de ce que vous avez sous les yeux. Par sa Résurrection le Christ a manifesté que son sacrifice a été agréé par Dieu. Le sceau de vérité est mis sur l’ensemble de sa vie, de son enseignement et surtout de sa mort. Le sacrifice de Jésus a été agréé. Le juste a été justifié. Le péché est dévoilé et vaincu, et chacun désormais sait à quoi s’en tenir en matière de salut et de jugement.

Amen.