Mt 17, 1-9; prédication du pasteur Gill DAUDE

Dans le cadre d’échanges œcuméniques, le 7 mars 2020, le pasteur Gill Daudé a commenté ce passage de l’Evangile de Mathieu. (Mt 17, 1-9) au cours de la messe dominicale.

Voici l’essentiel de ce commentaire:

Heureux d’être là parmi vous pour ce 2e dimanche de carême pour cet échange de prédications avec le P. Michel.Heureux aussi d’avoir à méditer cet évangile dit « de la transfiguration » qui me tient beaucoup à coeur.

Jusque-là, Jésus a marché sur les chemins de Galilée. Il s’est adjoint des disciples qui l’ont suivi avec un certain enthousiasme. Ils ont entendu Jésus enseigner (et quel enseignement !), vu Jésus guérir les malades, libérer les aliénés, nourrir les foules, relever les petits dans leur dignité, réhabilité les exclus, susciter la confiance, dénoncer l’hypocrisie… bref placer l’être humain au centre de sa préoccupation et de celle de son Père.
Si Dieu se fait humain en Jésus, c’est pour s’occuper de l’humain… et nous entraîner à nous occuper de l’humain ! Bref pour nous apprendre à être des humains dignes de ce nom.
C’est une chose qui me frappe de plus en plus lorsque je lis l’évangile.
Et comment être plus humain à l’image de Jésus ? En nous laissant façonner par sa Parole, par son exemple.

Et puis, aux chapitres 16 et 17 de notre évangile, tout bascule.
Pierre confesse que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu. Jésus annonce sa mort pour la 1ère fois et Pierre n’y comprend rien : il se fait traité de Satan !
Parce qu’il n’a pas compris que être le Fils de Dieu, c’est assumer totalement l’humanité des humains… jusqu’à subir les affres de la violence, de la haine, de la torture, jusqu’à subir les affres de la souffrance et de la mort. C’est cela être Fils de Dieu. Pierre ne l’avait pas vraiment compris. Il faisait de Jésus un « Fils de Dieu » au-dessus de tout ça.
Mais être Fils de Dieu, c’est au contraire complètement humain, jusque dans ce que l’humanité a de plus bas, et de plus vile.

Et notre histoire de la Transfiguration, ne fait que rajouter à cela. Six jours après l’altercation avec Pierre, Jésus reprend le trio infernal, si je puis dire, Pierre, Jacques et Jean. Les premiers appelés, et les mêmes qu’il prendra au jardin de Gethsémani où ils verront sa tristesse et son angoisse toute humaine (Mt 26,37).

Et maintenant qu’il leur a fait comprendre qu’être Fils de Dieu, c’est assumer totalement l’humanité, alors il lève le voile sur… sa divinité.
Tout la symbolique y est.
La montagne, lieu de la révélation comme au temps de Moïse lorsque Dieu se révèle à lui comme le Dieu qui libère de l’esclavage et les conduit, par sa parole et son alliance, dans une vie libérée.
La montagne, comme au temps du prophète Elie, le premier prophète ou considéré comme tel, auprès de qui Dieu se révèle dans la douceur d’un souffle silencieux et léger.
La loi et les prophètes sont là, sur la montagne de la révélation, pour confirmer que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que être Le messie, le Fils de Dieu, divin même !, c’est assumer l’humanité jusque dans ce qui fait le drame radical de l’humain : la souffrance, l’abandon, la mort.
Son visage brille comme le soleil, ses vêtements sont pure lumière… comme le Fils de l’homme chez le prophète Daniel (ch.7 – cité juste avant notre texte : 16,27-28), symbole du Messie qui vient pour mettre de l’ordre et de la justice.
Une nuée les couvre et une voix se fait entendre, comme temps de Moïse sur le mont Sinaï.
Autrement dit, à travers toute cette symbolique, on nous confirme que Jésus est le Christ, le Messie attendu, que sa révélation dépasse, accomplit toute autre révélation (celle de Moïse, celle d’Elie).
La vision est totale, les disciples sont scotchés : est-ce une vision ? est-ce du réel ? Ou les deux à la fois ? Peu importe. L’important, c’est que la même voix et les mêmes paroles que lors du baptême de Jésus (ce baptême où il assume justement l’humanité, alors même qu’il n’avait pas besoin d’être baptisé) retentit à nouveau : celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui je trouve ma joie.

La même qu’au baptême de Jésus ? Pas tout à fait ! Il y a un petit mot qui est ajouté : écoutez-le !
A ben oui, on comprend pourquoi cette parole est ajoutée !
Pierre vient justement de refuser d’entendre que Jésus sera mis à mort et que le 3e jour il ressuscitera (Pierre comprend « mis à mort » mais sans doute ne comprends-il pas « ressuscité » puisque personne n’a jamais vu un ressuscité ! D’ailleurs, il n’y a pas de mot grec pour dire « ressuscité » : on parle de « réveiller » ou de « se lever »). Pierre vient juste de refuser d’accepter que être Fils de Dieu, c’est épouser l’humanité jusque dans sa mort, c’est renoncer à sa vie plutôt que de gagner le monde entier (16,26).
« Ecoutez le », ici, veut dire « croyez à cette annonce de Jésus ! ». Oui, être Fils de Dieu en qui Dieu met toute sa joie, c’est être pleinement humain et assumer l’humanité jusqu’au bout.
C’est pourquoi notre texte se termine par : n’en parlez pas tant que le Fils de l’homme ne s’est pas réveillé de la mort (17,9 – où l’on retrouve l’image du Fils de l’homme et le « réveil » de la mort déjà évoqué devant Pierre qui l’avait refusé violemment – 16,22).
Tout cela évidemment, renverse tous nos rêves de puissance ; nos rêves d’être des super-héros.
Croire en Jésus, Fils de Dieu. Ce n’est pas tant croire à sa puissance, voire à la toute-puissance. Ça, tout le monde en est capable… et tout le monde un jour finit par être déçu. Comme Pierre, comme Judas et les autres.
Non, dans ce moment où l’évangile bascule, l’évangile semble nous dire que croire en Jésus Fils de Dieu, Messie, Christ, c’est épouser avec le Christ l’humanité jusque dans ses bassesses, ses pauvretés, ses affres, ses abandons, ses angoisses. Et que le chemin de la vie, passe finalement par là.

La conclusion de notre récit est belle et toute simple.
On nous dit que les disciples tombèrent face contre terre de terreur.
Y’a de quoi ! S’ils réalisent tout cela, y’a de quoi !

Mais que fait Jésus ?
Il s’approche…
Il les touche…
Il leur dit « levez-vous » (voilà le langage de la résurrection)
Et leur dit « N’ayez pas peur ».
Et lorsque les disciples lèvent les yeux, que voient-il ? Jésus seul. Un simple homme. Rien de plus qu’un simple homme qui vient vers eux avec des gestes très humains et des paroles très humaines : il s’approche, il les touche, il leur dit « levez-vous » et « n’ayez pas peur », comme une mère rassure ses enfants.

Si vous regardez en grec le verbe s’approcher (προσέρχομαι), vous voyez qu’il est toujours appliqué à ceux qui s’approchent de Jésus : la foule, un lépreux, le centenier pour son fils, les disciples apeurés dans la barque, une femme malade, des aveugles, les disciples, et même les scribes et les pharisiens… bref toute l’humanité blessée et qui cherche s’approche de Jésus.
Mais ici, renversement : Jésus s’approche des disciples. Seul. Comme s’il s’approchait d’eux en portant en lui tous celles/ceux qui se sont approché de lui. Il les apporte aux disciple encore terrorisés pour en faire quoi ?
Il y a un seul autre moment où Jésus s’approche. C’est à la fin de l’évangile (28,18), lorsque, ressuscité, il donne à ses disciples le mandat « Allez faites de toutes les nations mes disciples ». Il y a donc qq chose de l’ordre de la mission. En s’approchant d’eux, Jésus leur confie les pauvres et les blessés de la terre (malgré leur faiblesse car ils sont comme morts).

Il les touche (ἅπτομαι) : qui Jésus a-t-il touché jusque-là ?
Un lépreux (8,3), la belle-mère de Pierre (8,15), une femme malade, des aveugles… et ici, les disciples comme s’ils étaient des blessés en besoin de guérison. Jésus les touche. Et il leur donne cette mission donc, sans attendre qu’ils soient des super-cracs de l’évangile : juste s’occuper des blessés, des petits et des pauvres de la terre.

Puis il leur dit « levez-vous » (ἐγείρω) : c’est le langage de la résurrection. De Joseph qui se lève après son rêve et garde Marie chez lui, à Jésus qui se lève pour apaiser la tempête, en passant par les malades qui se lèvent (non sans lien avec le pardon – 9,6) et jusqu’à l’injonction aux disciples (relevez les morts ! 10,7), le verbe est utilisé à chaque fois pour parler de remettre debout l’humain atteint par la mort ou les forces de mort. Ici, les disciples sont comme morts de peur mais pas seulement de peur. C’est toute leur conception des choses de la vie, du monde, de la foi, qui s’écroule, la conception même du Messie qu’ils attendaient et croyaient voir en Jésus qui est mise à bas. Ils doivent tout reconstruire et ne le peuvent pas eux-mêmes.
Ce « levez-vous » et ce « n’ayez pas peur » (qui n’a pas été prononcé pour la 1ère fois par Jean Paul II, comme disent les journalistes, mais bien par Jésus !) qui retentit pour la 1ère fois pour Joseph (n’aie pas peur de prendre Marie ! 1,20), qui rebondit dans la bouche de Jésus pour inviter à ne pas avoir peur de confesser le Christ (10,26), puis lorsque la tempête se déchaîne (14,27), et enfin, justement, au matin de la résurrection (28,5 et 10).

Ainsi, Jésus, seul, humain parmi les humains, dépouillés de tous les attributs de la divinité, les ressuscite par des gestes et des paroles toutes humaines.

Ce message d’humanité est pour nous aujourd’hui.
Nous prétendons être divins. Chacune de nos Eglises a tendance à se croire détentrice du divin.
Ce récit de la transfiguration nous invite à être simplement des humains.
Ou plutôt à recevoir du Christ notre humanité en toute humilité.
Et à la vivre, avec des gestes et des paroles humaines, nous qui recevons du Christ cette mission : être des humains vraiment humains parmi les humains.
Et la grandeur du divin, dévoilée à la Transfiguration, se cache là.
A nous de nous laisser ouvrir les yeux par le Christ qui s’approche, qui nous touche, qui nous dit « lève-toi, n’aie pas peur ».
Amen.