Conférence de Mgr Teissier

Conférence de Monseigneur Henri Teissier, archevêque émérite d’Alger

Dans les années 90 une crise s’est instaurée en Algérie, plongeant le pays dans un déchaînement de violences, qui dureront jusqu’en 1999. Des groupes armés, islamistes, perpétuent des assassinats parmi la population civile dans le but de la punir de leur soutien au gouvernement algérien.

Entre 1994 et 1996, dix-neuf religieux et religieuses, dont treize hommes et six femmes, ont été assassinés en Algérie, mais ce sont aussi 150 000 à 200 000 algériens qui ont été assassinés. Parmi eux, on dénombre des hommes de sciences, des arts, des médecins, des journalistes, des hommes interrogés par des journalistes, des forces de l’ordre qui ont refusé d’obéir aux groupes armés, et quatre-vingt-dix-neuf imams qui sont morts pour avoir refusé de cautionner la violence.

Si les religieux et religieuses, ainsi que les moines de Tibhirine ne sont pas partis, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas abandonner fondamentalement, un peuple en danger, « les leurs » et ce, malgré l’avertissement des autorités à quitter le pays, et les appels de leur évêque du danger qu’ils encouraient en restant.

A l’annonce de la Béatification des 19 martyrs algériens, les responsables des congrégations de ces religieux et les familles des martyrs, soient quatre-vingt personnes, proposent que la célébration de la Béatification ne se passe pas à Rome mais en Algérie. Elle aura donc lieu le 8 décembre à la basilique Notre-Dame de Santa-Cruz à Oran, où a vécu Mgr Claverie, Dominicain, alors évêque d’Oran, qui a été assassiné avec son chauffeur et ami musulman, Mohamed, en août 1996.

Ils seront béatifiés non pas parce qu’ils sont des martyrs, mais car ils ont vécu dans la fidélité à la mission de l’Eglise, dans le don aux autres, à ce peuple. Christian de Chergé, prieur des frères cisterciens de Tibhirine assassinés, en Algérie, écrit dans le testament spirituel qu’il a rédigé peu de temps avant sa mort : « […] ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays. » Ces moines, des martyrs, ont laissé un message extraordinaire car ils ont vécu une solidarité et une amitié avec le peuple algérien. Il faut se débarrasser de l’idée que les Chrétiens ne peuvent pas vivre avec les musulmans. Il est clair qu’il y a des violences inqualifiables qui sont perpétrées au nom de leur religion mais il y a aussi des personnes qui cherchent à trouver des occasions de vivre ensemble, de s’orienter vers des amitiés interreligieuses.

La première attaque meurtrière fut perpétrée en mai 1994, contre un frère mariste et une sœur de l’Assomption qui ouvrit la porte à des hommes armés, demandant à rencontrer le responsable de la bibliothèque du diocèse, située dans la Casbah. C’est là, dans son bureau qu’ils furent tués. Ils avaient adhéré tous les deux à un groupe qui réunissait des chrétiens et des soufis, de 1981 à 1992. La même année, deux Sœurs espagnoles furent tuées dans la rue alors qu’elles se rendaient à la messe, par groupe de deux, suite aux conseils de leur évêque. Ce sont deux autres religieuses, qui les suivaient, qui ont trouvé leurs corps. Celles-ci n’ont pas quitté le pays et continuent à vivre dans le quartier où elles animent des cours, des formations. Puis ce furent quatre Pères Blancs vivant à Tizi-Ouzou, qui furent tués le 26 décembre 1994, dans la cour de leur mission.

En septembre 1995, deux Sœurs de Notre-Dame des Apôtres, insérées dans leur quartier, sont tuées en sortant de la messe. Elles étaient responsables d’un centre de formation de couture. Deux mois plus tard, deux jeunes religieuses, Petites Sœurs du Sacré Cœur, furent visées par balles. L’une mourra et l’autre fut grièvement blessée au visage.

Dans la nuit du 26 mars 1996, six des huit moines trappistes de la communauté de Tibhirine sont enlevés. Les circonstances de leur mort restent floues. Deux moines ayant réussi à se cacher, vivent actuellement au Maroc.

Quatre ou cinq membres de la Communauté du Chemin Neuf, vivent actuellement dans le monastère et reçoivent des foules de visiteurs algériens, découvrant ce qu’est la vie monastique.

L’Eglise Catholique algérienne est fragilisée depuis ces décennies meurtrières qui ont entraîné le départ de nombreux chrétiens, mais les religieux et religieuses qui ont accepté de rester en Algérie, et qui sont intégrés pour la plupart depuis très longtemps, essaient de vivre ensemble, par le service, par leur témoignage de l’amitié, de leur don d’amour gratuit qui les lie à ce peuple.